« L’art de la dorure remonterait à environ 2 300 av. J.-C., comme en témoignent des peintures égyptiennes figurant des orfèvres en train de battre l’or pour faire des feuilles. Également utilisée par les Phéniciens et les Chinois durant l’Antiquité, puis par les Byzantins qui en firent largement usage dans les icônes et les mosaïques, cette technique gagna au fil des siècles de nouveaux supports, illuminant le bois (cadres, sièges), le staff (décor de plafonds, corniches) ou le bronze… De ce savoir-faire séculaire nécessitant la maîtrise d’une vingtaine d’opérations, les doreurs ornemanistes sont aujourd’hui les dépositaires. Notre siècle étant peu porté sur le doré, ces artisans spécialisés se consacrent essentiellement à la restauration d’objets d’art, de mobilier ou d’éléments de décoration architecturale pour le compte de particuliers, d’antiquaires, ou de monuments et musées nationaux.
Ils reproduisent des gestes et des « recettes » qui ont peu varié depuis le Libro dell’Arte (1437) de Cennino Cennini : l’apprêt, la reparure, l’assiette, la pose de la feuille d’or et la finition. Composé d’un mélange de blanc de Meudon et de colle de peau de lapin, l’apprêt, appliqué en 8 à 12 couches puis poncé, est un enduit aqueux destiné à reboucher les imperfections du support et à lisser la surface poreuse du bois. Empâtés par ces épaisseurs de blanc, les éléments sculptés sont ensuite remodelés, ciselés et gravés à l’aide des fers à reparer, une étape délicate requérant aptitude au dessin et sens des volumes. Les parties destinées à recevoir la feuille d’or sont ensuite enduites d’une préparation dense et lisse appelée « assiette ». Cette mixture à bas d’argile (« bolus » ou « bol d’Arménie ») et de colle de peau de lapin active les propriétés brillantes et métalliques de l’or. « La technique de la dorure sur bois à la détrempe était à l’origine utilisée pour imiter l’or massif », rappelle le doreur Jean-Pierre Galopin. Enfin, la surface à dorer est progressivement mouillée à l’aide d’un pinceau dit « mouilleux », l’eau permettant de happer et de fixer la feuille d’or au support. D’un dix-millième de millimètre d’épaisseur, celle-ci est déposée par l’intermédiaire de la palette à dorer, un large pinceau de martre. L’étape du brunissage – l’or est poli avec une pierre d’agate – apporte à l’objet la brillance désirée (en général, les creux restent mats pour accentuer le relief des ornements), tandis que la patine (une colle de peau diluée additionnée d’aquarelle) donne aux parties restaurées la teinte et l’usure du reste de l’œuvre.
« Si la technique varie peu, les doreurs ne travaillent cependant pas tous dans la même optique », précise Laurence Gillery, elle-même fille de doreur et doreuse depuis vingt ans. « Pour certains, il est indispensable que les interventions de restauration soient imperceptibles, qu’elles se fondent dans l’existant. Pour d’autres, c’est le contraire : il faut que cela se voie, que ça brille ! » D’après cette professionnelle spécialisée dans la restauration des baromètres au mercure, un bon doreur doit savoir ne pas se mettre trop en avant. »
Article d’Eva Bensard, tiré du Journal de Arts n° 185, 23 janvier au 5 février 2004.